Sur d’autres réseaux sociaux à vocation moins professionnelle, la vague de #Moiaussi et l’incompréhension qu’elle peut parfois susciter montrent un profond décalage dans les perceptions de ce que devraient être les relations homme-femme dans la vie de tous les jours, mais également sur son lieu de travail.
Quel comportement, quelle attitude adopter dans nos interactions avec nos collègues d’un autre genre ? Qu’est-ce qui est attendu ? Correct ? Acceptable ? Hors-jeu ? Violent ?
Ne veut pas agresser, mais …
… comment un comportement est-il perçu par le destinataire ? Je ne parlerai pas ici des cas d’agression ni même du harcèlement de rue ou de bureau, ni d’attitude témoignant d’un manque de respect volontaire et/ou conscient ou de toute autre forme voulue ou assumée d’atteinte à la dignité d’un tiers.
Je voudrais juste parler ici d’attitudes qui ne se veulent pas ou ne se savent pas inadéquates, l’intention se voulant parfois juste « galante » ou se reconnaissant à la rigueur comme « grivoise » pour les adeptes des plaisanteries à la finesse discutable. Des attitudes qui ne se veulent peut-être à aucun moment dégradantes ou humiliantes dans l’intention de celui qui les adopte.
Quel est le ressenti du destinataire ?
Toutefois certaines de ces attitudes, quelle que soit l’intention de l’émetteur, sont vécues comme des agressions par leurs destinataires. C’est gênant. Et demander aux destinataires de se justifier de ce sentiment d’agression l’est tout autant.
Le vécu peut être lui lourd de conséquences pour la cible de ces comportements. Ces conséquences sur le plan individuel méritent à elles seules que nous nous intéressions à la question, sans même avoir à entrer dans des considérations d’ordre plus général comme la perception induite ou entretenue de rapports inégalitaires entre genres.
« Truculent et tactile »
La question est d’importance, d’autant qu’au nom de cette même « légèreté », on peut passer du « grivois » sans finesse au « truculent, tactile », pour reprendre des éléments de défense utilisés par Jean Lasalle, ancien candidat à l’élection présidentielle et aujourd’hui mis en cause à plusieurs reprises dans le cadre de cette vague de #Moiaussi pour des comportements plus intrusifs encore que des indélicatesses verbales.
Je ne suis pas juge, je suis coach. Je ne chercherai donc pas à me positionner quant à l’intention de Mr Lasalle au moment des faits, mais plutôt quant au besoin urgent que cela révèle de faire bouger les comportements.
Et nous ?
Et pourtant, j’ai eu beau guetter et scruter sur ce réseau social, en quête d’article ou de discussions traitant ou évoquant même simplement le sujet en question, rien. Pas même une allusion au #Moiaussi et à ses variantes, alors que l’ensemble des médias en a fait un sujet de première ligne.
Est-ce à dire que tout va bien dans le monde de l’entreprise ? Ou que ce sujet y représente un tabou encore plus important que dans le reste de notre société ?
Principe de précaution
En termes de comportement, de relation professionnelle, l’application du principe de précaution devrait primer.
Mais l’antériorité (« Je me suis toujours comporté comme ça »), les mauvaises habitudes (« Je ne m’en rends même plus compte »), les prétextes culturels (« On ne va pas devenir des Américains sur-judiciarisés quand même ! »), ce que tout cela implique quant aux comportements passés et leurs conséquences (« Si je reconnais qu’il y a un problème aujourd’hui, j’admets avoir adopté un comportement inadéquat par le passé »), ainsi que probablement la peur de ne pas être à la hauteur des attentes nouvelles (« Et si, après avoir reconnu que cela n’est pas adéquat, je glisse à nouveau dans ces anciens comportements, qu’est-ce qui se passe ? ») sont autant de frein à la prise en compte de la situation.
Pourtant, une forme de communication préventive pourrait être mise en place.
Communiquer sur un sujet culturel, et donc tabou
Une communication portant sur quoi ? Sur la nécessaire disparition de ces comportements potentiellement dégradants.
Et pourtant, ce type de communication interne me semble rarement mis en place. Nul doute pourtant que les responsables des Ressources Humaines se préoccupent du bien-être de leur collègues, mettent en place de nombreux dispositifs liés à la qualité de vie au travail, et a fortiori à leur protection, mais sur ce domaine précis, pas grand-chose. Quelles raisons peut-on imaginer à cela ?
1. Non prise en compte du problème par manque d’information remontée
Pour un ensemble de raisons, les Ressources Humaines peuvent ne pas avoir connaissance ou conscience de la situation dans leurs entreprises. L’absence de remontée ou de plainte peut faire penser que tout va bien. Mais si c’est certainement le cas dans une grande partie des situations, l’absence de plainte signifie a priori surtout que le seuil d’explosion n’est pas (encore) atteint, et non pas l’absence de tensions. Combien de Lasalle, à différents degrés, dans nos couloirs ? Combien de personnes qui souffrent de ce genre de comportement sans oser l’exprimer ? Combien de justifications, dénis et autres comportements de défense qui empêchent toute confrontation directe sur ces comportements aux conséquences potentiellement lourdes ?
2. Difficulté à pointer les comportements sans pointer les personnes
L’enjeu est ici de sensibiliser les personnes aux souffrances potentiellement générées sans les « braquer ». A vouloir trop pointer les personnes, à des fins de prise de conscience, on s’expose à la mise en place de mécanismes de défense. Ces mécanismes risquent de conduire au rejet de la demande de modification de comportement. Accompagner les personnes sur le chemin d’une communication interpersonnelle professionnelle respectueuse indépendamment des genres devient encore plus compliqué si un tel accompagnement est perçu comme une sanction.
Alors, on en parle ?
Je suis curieux d’échanger avec vous sur votre vision de la situation. Quelle est la situation dans les entreprises que vous avez traversées ou côtoyées ? Qu’est-ce qui y était mis en place, ou qu’est-ce qui aurait pu y être mis en place ? Quelle évolution ces derniers temps ?
Comment en parler en milieu professionnel ?
Alors, on ne peut plus rigoler ?
Mais si, justement.
Mais en se rappelant que l’humour, c’est quand l’autre rit.