Qui est Nasreddine ?
Bonjour et bienvenue sur cette page. Celle-ci ne se présente par réellement sous la forme d’un article, et ceci avant tout pour deux raisons. La première est que ce n’est pas un article, mais un grenier dans lequel
j’aime à ranger au fur et à mesure les histoires de Nasreddine que je peux avoir publiées à droite à gauche. N’y cherchez donc pas de sujet ou d’objet précis. La deuxième raison est que du coup, cette page est appelée à évoluer, à s’allonger et à présenter un caractère « modifiée » récurrent.
Mais qui est Nasreddine ? Nasreddine est un personnage de conte probablement originaire de la Perse ancienne. Pour le reste, laissons ses histoires parler pour lui.
Le Soleil ou la Lune ?
Un jour, on demande à Nasreddine si il préfère le soleil ou la lune. Sans hésiter, il répond :
– La lune
– Pourquoi la lune ?
– Parce que la lune brille dans la nuit, éclaire le pas de l’égaré, transperce les ténèbres ! Alors que le soleil, lui, brille en plein jour, ça ne sert à rien !
Ce qui est considéré comme acquis est rarement jugé à sa juste valeur.
D’un point de vue personnel, je pense important de remercier aussi ceux qui sont toujours là pour nous.
D’un point de vue managérial, depuis quand n’ai-je pas dit « bravo » et « merci » à cet employé compétent stable et fidèle qui fait presque partie des murs ?
Le plus fort
Par un beau jour d’été, Nasreddine s’embarque avec d’autres passagers sur un voilier en partance. La mer est d’huile, le ciel limpide, le voyage se présente bien. Mais alors que la côte disparait à l’horizon, de gros nuages sombres s’accumulent et la mer se démonte. Eclairs, tonnerre, la tempête s’installe et menace d’engloutir le voilier. En hâte, le capitaine distribue alors à tous les membres de son équipage et à tous ses passagers des récipients pour écoper. Et tout le monde de se mettre à l’ouvrage, d’écoper l’eau qui s’engouffre dans le bateau et de le rejeter à la mer. Tout le monde … sauf Nasreddine, qui à l’inverse, écope de l’eau de la mer pour la déverser dans le bateau.
Voyant cela, le capitaine s’emporte :
– Nasreddine ! Qu’est-ce que tu fais ? Tu es fou ! Tu veux tous nous tuer ?
– Ah, écoute capitaine ! Moi, ma mère m’a toujours dit : « Nasreddine, si tu ne veux pas avoir de problème dans la vie, range-toi toujours du côté du plus fort ! »
Trouver le courage avant qu’il ne soit trop tard. Connaissez-vous le mécanisme social du bouc émissaire et son fonctionnement ? Important à garder à l’esprit, surtout pour un manager sollicité pour arbitrer des conflits dans son équipe.
Le vieil avare
Dans le village de Nasreddine vivait un vieil avare, un homme si pingre qu’on disait de lui qu’il s’était fait des poches en peau de hérisson. Un beau jour, un villageois court à la rencontre de Nasreddine :
– Nasreddine ! Nasreddine ! Viens vite ! Le vieil avare est tombé dans la mare et nous n’arrivons pas à le sauver !
Nasreddine va voir ce qui se passe et effectivement, il voit tous les villageois penchés vers le vieil avare et qui lui crient : « Donne-moi la main ! Donne-moi la main ! ». Mais le vieil avare reste immobile et se noie sous les yeux de la foule.
Avec un profond soupir, Nasreddine se penche à son tour et crie au vieil avare : « Hé, toi ! PRENDS ma main ! »
Et c’est comme ça qu’on l’a sauvé.
Qu’est-ce que la manipulation, sinon un outil éducatif, pédagogique et managérial très puissant ? Et un outil ne peut être ni bon ni mauvais.
Pas eu le temps
Les fêtes se sont bien passées pour vous ? Nasreddine a fêté la nouvelle année, lui aussi. Bien bien fêté, même, peut-être avec un peu trop d’enthousiasme. Sa femme s’est déjà couchée alors que Nasreddine traine encore dans la cuisine. Et soudain, un grand bruit, un vacarme de tous les diables dans l’escalier. Affolée, la femme de Nasreddine s’écrie :
– Nasreddine ! Qu’est-ce qui se passe ? Tu vas bien ?
– Ce n’est rien, ce n’est rien. C’est juste … euh … mon manteau qui est tombé dans l’escalier …
– Ton manteau ??? Mais Nasreddine, un manteau qui tombe ne fait pas un bruit pareil !
– C’est que … je n’ai pas eu le temps de l’enlever avant qu’il ne tombe …
Connaissez-vous la chanson : « Tout va très bien, Madame la Marquise » ?
Ca marche !
Rentrant chez lui, le voisin de Nasreddine voit ce dernier jeter du sel à pleine poignée tout autour de sa maison.
– Nasreddine ! Mais qu’est-ce que tu fais ?
– Voisin, je jette du sel autour de ma maison.
– Je le vois bien, pauvre fou, mais pourquoi fais-tu cela ?
– Cela éloigne les tigres.
– Mais tu racontes n’importe quoi, Nasreddine ! On n’a jamais vu de tigre dans le coin !
– Et bien tu vois bien que ça marche !
Rions de Nasreddine … sans oublier de vérifier nos propres routines, des fois que.
L’argent
Savez-vous comment les premiers miroirs étaient fabriqués ? Une simple plaque de métal, généralement de l’argent, polie et placée derrière une vitre. Un jour, le fils de Nasreddine demande à son père de lui enseigner une leçon de vie. Nasreddine l’emmène alors à la fenêtre et lui demande :
– Que vois-tu à travers cette vitre ?
– Et bien je vois le jour, la rue, nos voisins. Tiens, le jeune garçon d’en face semble soucieux. Et sa jeune voisine vient le consoler. Que leur arrive-t-il ?
Sans répondre, Nasreddine installe une plaque d’argent derrière la vitre et lui demande :
– Et à présent, que vois-tu à travers cette vitre ?
– Mais … je ne vois plus que moi, mon reflet ! Pourquoi cette question ?
– Parce que tu as regardé deux fois à travers la même vitre. Mais la deuxième fois, derrière cette vitre, il y avait de l’argent.
De l’importance d’anticiper et de cadrer la répartition de toute somme d’argent, que cela soit dans un cadre managérial, mais encore plus entrepreneurial.
Juste paiement
C’est jour de marché et l’activité bat son plein. Un marchand cuit des brochettes sur un lit de braises. L’odeur qui s’en échappe attire bientôt un pauvre homme à l’estomac vide. Sans le sou, il contemple les brochettes et soupire : son repas à lui ne se compose que d’un petit bout de pain sec. Une idée lui vient : il promène son bout de pain dans la fumée des brochettes pour en capter un peu d’arôme. Lorsque le marchand le voit, ce dernier entre dans une grande colère :
– Au voleur ! Cet homme me vole ma fumée ! A présent tu dois me payer !
– Mais je n’ai pas d’argent !
– Alors en prison !
Attiré par le bruit de la dispute, Nasreddine s’approche et demande ce qui se passe. Puis il dit au marchand :
– Laisse partir cette personne, je vais te payer, moi.
Une fois le pauvre homme parti, Nasreddine s’approche du marchand, quelques pièces à la main. Mais au lieu de les lui donner, il se contente de les faire tinter à son oreille.
– Te voilà payé : le bruit de mes pièces contre l’odeur de ton repas !
Ah, la propriété dématérialisée … celle qui peut se partager, enrichir tout le monde sans appauvrir personne. Qu’en faisons-nous au quotidien ?
Les abeilles et les fleurs
Pour la septième année consécutive, Nasreddine a gagné le concours des plus beaux pois-chiches de son village. Jaloux, son cousin vient le voir pour le « féliciter » :
– Nasreddine, tu participes chaque année à ce concours. Pourquoi ?
– Pour que mes voisins pensent à moi et me considèrent. Je connais le pouvoir des humains.
– Mais comment fais-tu pour gagner à chaque fois ?
– C’est simple, cousin : chaque année, dans ma récolte, je choisis les plus beaux grains et au lieu de les manger je les mets de côté pour les planter l’année suivante. Je connais le pouvoir du temps qui passe.
– Mais ça, tu n’es pas le seul à le faire !
– Tu as raison. Mais moi je garde toujours une partie de mes grains pour les offrir à mes voisins.
– Tu offres de tes meilleurs grains à tes concurrents ? Mais tu es fou Nasreddine !
– Cousin, sais-tu comment poussent les plantes ? Comment elles se fécondent ? En offrant de mes grains à mes voisins, je m’entoure des plus beaux plants. Et mon champ à moi, il est juste au milieu de toutes ces belles fleurs ! Je connais le pouvoir de la vie.
Donner pour recevoir : contre-intuitif et aussi efficace que plaisant.
Ce que disent les autres
Nasreddine trouve son fils fort affligé.
– Que t’arrive-t-il ?
– Les autres se moquent de mon gros nez ! Je n’ose plus sortir.
– Les autres ? Ah mon pauvre fils. Demain nous irons au marché et tu verras bien.
Et le lendemain, ils vont tous les deux au marché avec leur âne, Nasreddine juché sur l’âne, son fils à pied. Et les gens de dire :
– Regardez ce vieil égoïste ! Toujours sur son âne et son pauvre fils à pied !
Nasreddine à son fils :
– As-tu entendu ?
– Oui père.
– Demain nous reviendrons.
Le lendemain, ils retournent au marché, mais cette fois, c’est le fils qui est sur l’âne.
– Voyez cela ! Le jeune se prélasse tandis que le vieux se fatigue !
– As-tu entendu, mon fils ? Demain nous reviendrons.
Le lendemain, Nasreddine et son fils marchent au côté de l’âne.
– Quels idiots ! Ils ont un âne et n’en profitent pas !
– As-tu entendu ? Demain nous reviendrons.
Le lendemain, Nasreddine et son fils chevauchent tous deux l’âne.
– Mais ils vont la tuer cette pauvre bête !
– As-tu entendu ? Demain nous reviendrons.
Le lendemain, Nasreddine et son fils portent l’âne.
– Ha ha ha ! Qui est le plus bête des trois ?
– As-tu entendu, mon fils ?
– Oui père.
– Quoi que tu fasses, ceux qui le veulent y trouveront toujours à redire. Alors ignore-les !
Commenter me semble superflu.
Des chaussures en carton
Jeune enfant, Nasreddine vivait seul avec sa mère. Celle-ci avait un amant qu’elle rejoignait secrètement la nuit, une fois Nasreddine endormi. Elle rentrait à l’heure bleue et prenait grand soin de ne pas réveiller son fils, se livrant à de véritables numéros d’équilibriste sur la pointe des pieds et dans la semi-obscurité pour ne pas faire le moindre bruit. Le temps passe ainsi, et un beau jour Nasreddine offre un cadeau à sa mère : des chaussures en carton.
– Des chaussures en carton ??? Mais Nasreddine, mon fils, pourquoi un tel cadeau ?
– C’est que j’ai tellement peur que tu ne finisses par te tordre la cheville, Maman. Avec ces chaussures, tu pourras rentrer à l’heure que tu veux sans avoir peur de me réveiller.
Grande est la clairvoyance des enfants.
Reconversion
Nasreddine s’est souvent reconverti. Un jour, il se tourne vers la médecine. Pour ce faire, il va trouver un médecin de grand renom et demande à le suivre dans sa tournée.
Première visite : le malade est cloué au lit, pris de violentes douleurs abdominales. Le médecin s’approche, examine l’œil de son patient, sa langue et prends son pouls. Il recule alors, l’air songeur, jette un œil sous le lit du malade et sourit.
– Ton cas est simple : diète, repos, une tisane avant de dormir et surtout, surtout, mange moins de cerises !
Le malade obtempère, l’air penaud.
Une fois sorti, Nasreddine interroge son maître :
– Comment as-tu su ce dont il souffrait ?
– C’est simple : il présentait tous les signes d’une bonne indigestion, et sous son lit, j’ai vu une montagne de noyaux de cerise !
La médecine paraît soudain simple à Nasreddine qui se met à son compte dès le lendemain.
Première visite : le malade est cloué au lit, pris de violentes douleurs abdominales. Nasreddine s’approche, examine l’œil de son patient, sa langue et prend son pouls. Il recule alors, l’air songeur, jette un œil sous le lit du malade et sourit.
– Ton cas est simple : diète, repos, une tisane avant de dormir et surtout, surtout, mange moins de babouches !
Pour un compétent, combien d’ ânonnant ?
Un âne qui sait lire
Nasreddine n’a pas toujours été délicat. Un jour, très pressé, il « emprunte » un âne pas à lui. Pris sur le fait, il est trainé devant le Sultan pour être jugé. Pour échapper à la prison, Nasreddine essaie de se défendre :
– C’est que j’ai reconnu en cet animal mon malheureux frère, ô Sultan, victime d’un sortilège qui l’a transformé en âne.
– Tu te moques encore de moi Nasreddine !
– Non, ô Sultan, et pour te prouver mes dires, je vais aider mon frère à retrouver tous ses souvenirs. Je vais même lui réapprendre à lire.
– Tu prétends apprendre à lire à cet âne ?
– Oui, mais il me faudra du temps pour cela. Dix ans, je pense.
– Eh bien Nasreddine, je te prends au mot : tu as dix ans, jour pour jour, pour apprendre à cet âne à lire. Si tu échoues, je te fais couper la tête !
Apprenant cela, la femme de Nasreddine se lamente :
– Tu es complètement fou ! Comment veux-tu réussir une chose pareille ? C’est complètement impossible !
– Allons, apaise-toi : en dix ans, tout peut arriver. Le Sultan peut mourir, moi-même je peux mourir, et plus encore l’âne peut mourir. Alors pourquoi s’en faire ? Et pour le moment, je suis libre ! Et en plus j’ai gagné un âne.
Et vous, quel est votre rapport au temps ? Sans procrastiner, savez-vous goûter le présent ?
L’accouchement de la marmite
Nasreddine veut emprunter une marmite à son voisin. Le voisin renâcle mais accepte finalement. Le lendemain, Nasreddine lui rapporte sa marmite, dans laquelle le voisin a la surprise de trouver … une deuxième marmite, plus petite !
– Qu’est-ce donc que cela ?
– Eh bien voisin, vois : ta marmite a accouché d’une petite cette nuit. Je t’ai donc rendu la fille avec la mère.
Une marmite, accoucher ? Comment Nasreddine peut-il être aussi stupide ? Peu importe, voilà une bonne affaire : la bêtise de Nasreddine rapporte au voisin une petite marmite. Il l’accepte donc avec joie.
Plus tard, Nasreddine redemande à emprunter sa marmite. Le voisin s’empresse d’accepter. Et le lendemain … rien. Et le jour d’après … rien de plus. Le troisième jour, excédé, le voisin va trouver Nasreddine :
– Nasreddine, cela fait trois jours que je t’ai prêté ma marmite. Où est-elle ?
– Hélas voisin, hélas ! Je n’osais venir te trouver pour t’annoncer la terrible nouvelle ! Ta marmite … est morte !
– Morte ? Nasreddine, tu te moques de moi ! Une marmite ne peut pas mourir !
– Ah, écoute, voisin : tout ce qui vit meurt. Donc si tu as accepté l’idée que ta marmite puisse accoucher, tu dois accepter l’idée qu’elle puisse mourir.
Et c’est ainsi que Nasreddine a gagné une grosse marmite pour le prix d’une petite.
Le danger de la malhonnêteté intellectuelle : le raisonnement fallacieux que j’ai soutenu hier car il m’arrangeait peut se retourner contre moi sans que je puisse m’y opposer.
Le Pari
Nasreddine donne souvent des fêtes magnifiques. Soupçonneux et jaloux, le Sultan le convoque:
– Nasreddine, où trouves-tu l’argent pour payer toutes ces fêtes ?
– C’est simple, ô Sultan : je le gagne en pariant.
– Et tu gagnes tous tes paris ?
– Oui, ô Sultan, je gagne toujours, tôt ou tard. Veux-tu parier avec moi ? Je te parie 10 pièces d’or* que demain matin, au réveil, tu auras une grande tâche noire sur les fesses.
– C’est absurde ! Soit ! Pari tenu !
– Dans ce cas, rendez-vous demain à l’aube dans ta salle d’audience, ô Sultan.
Le lendemain, à l’aube, dans la salle d’audience :
– Eh bien Nasreddine, cette fois, tu as perdu ton pari !
– Vraiment, ô Sultan ? Voyons cela.
Le Sultan se retourne, soulève sa robe et montre à Nasreddine ses fesses immaculées. Nasreddine soupire, reconnait sa défaite et paie les 10 pièces d’or.
Le lendemain, le Sultan apprend que Nasreddine a donné une fête qui dépassait toutes les autres en magnificence. Il le convoque :
– Et cette fête-là, avec quel argent l’as-tu payée ?
– Avec celui du pari que j’ai gagné hier, ô Sultan.
– Tu mens ! Tu as perdu 10 pièces d’or, hier !
– Avec toi, oui. Mais j’ai parié 100 pièces d’or avec ton grand Vizir que s’il se cachait dans ta salle d’audience avant l’aube, il te verrait me montrer tes fesses.
*une fortune
L’orgueil est un licol sûr pour mener ceux qui en sont victimes.
Nos aînés
Celle-là n’est pas de Nasreddine. Elle reste une de mes histoires préférées, alors en attendant je la range là.
Un bûcheron vivait dans une profonde forêt avec son père et son fils. Il n’était pas riche, mais son travail les faisait vivre.
Un hiver pourtant, le travail vint à manquer. Plus de provisions et aucune issue à l’horizon.
Un soir, le bucheron réunit son père et son fils.
– Nous ne pouvons pas continuer ainsi. Le peu d’argent qu’il me reste ne nous nourrira pas tous le reste de l’hiver.
Se tournant vers son père, il lui tend une couverture :
– Père, avec tout l’amour que je te porte, je dois te demander de partir. Prends cette couverture et bonne chance.
– Non Papa, ne fait pas ça ! crie son fils.
– Je comprends ta douleur, mon fils. Ce soir, tu dois apprendre ta première leçon d’homme. C’est ainsi, ton grand-père doit partir.
– Oh, ça je l’ai compris. Mais ce que je ne veux pas, c’est que tu lui donnes toute la couverture. Ne lui en donne que la moitié.
– Comment ? Tu n’aimes donc pas ton grand-père ?
– Si Papa, mais toi aussi je t’aime. Alors dans 20 ans, quand je te mettrai dehors comme tu mets grand-père dehors ce soir, je ne veux pas que tu aies froid. Alors garde la moitié de la couverture pour toi.
Ce fut dur, mais la famille est restée unie tout l’hiver.
Un âne qui ne mange pas
Nasreddine avait un âne qui lui rendait de nombreux services mais qui lui coûtait beaucoup trop cher en nourriture à son goût. Alors un beau jour, Nasreddine décide de réduire sa ration d’avoine. Juste un peu : l’âne ne semble même pas s’en rendre compte. Et le lendemain il la réduit encore un peu. L’âne ne proteste pas davantage. Et le jour d’après de même, et ainsi de suite. Et l’âne ne réagit toujours pas.
Jour après jour, économie après économie, l’auge en vient à rester vide et Nasreddine ne donne plus rien du tout à manger à son âne.
Une semaine se passe ainsi et un matin, l’âne se couche pour ne plus se relever : il est mort.
- Pauvre de moi ! se lamente Nasreddine. Quelle malchance ! Tant d’effort pour apprendre à mon âne à se passer de nourriture ! Et maintenant qu’il avait pris l’habitude de ne pas manger et qu’il ne me coûtait plus rien, il me lâche !
Le clou de Nasreddine
Nasreddine a besoin d’argent, beaucoup et vite. Alors il se résout à vendre sa maison. Son voisin le sait en difficulté financière. Loin de lui venir en aide, il en profite pour négocier âprement le prix et lui fait une offre bien en dessous de la valeur réelle de la maison de Nasreddine : à peine 750 pièces d’argent alors qu’elle en vaut bien 1000. Mais ce dernier n’a pas le choix. Avec un profond soupir, il accepte, mais à une condition :
- Vois-tu, voisin, me séparer de ma maison me fend le cœur. Alors pour le prix que tu me proposes, je veux bien te vendre ma maison, mais il n’est pas question que je te vende mon clou.
- Ton clou ? Mais de quoi me parles-tu Nasreddine.
- Et bien tu vois, voisin, ce clou planté dans la grosse poutre, au milieu de ma maison ? C’est mon père qui l’a planté lui-même, il y a de cela bien des années. Ce clou est tout ce qui me reste de lui. Il n’est pas question que je m’en sépare, cela me briserait le cœur. Alors pour le prix que tu me proposes, je te vends ma maison, mais pas ce clou. Ce clou, il reste à moi.
Voyant là une nouvelle preuve de la folie de Nasreddine, le voisin éclate de rire et accepte.
Le lendemain, de bon matin, Nasreddine frappe à sa porte.
- Bonjour voisin ! J’espère que tu as bien dormi dans ta nouvelle maison. Moi, je viens voir mon clou.
- Tu quoi ???
- Je viens voir mon clou, tu sais, celui que je tiens de mon père.
Et Nasreddine entre dans la maison, va voir son clou, l’époussète, l’astique, lui parle même avec douceur, puis s’en repart, non sans ajouter : « à demain, voisin ! »
Et le lendemain, de même. Et le jour d’après, pareil.
Le voisin commence à en avoir plus qu’assez, mais le jour suivant, Nasreddine ne se présente que vers midi … tenant à la main une peau de mouton nauséabonde. Sans attendre, il entre, et tandis qu’il l’accroche au clou :
- Bonjour voisin ! Figure-toi que j’ai cette toison à faire sécher, et que mon clou sera parfait pour cela.
Tandis qu’il va pour repartir, le voisin le retient :
- Nasreddine, tu ne peux pas laisser cette peau ici, elle empeste !
- C’est bien pour cela que je ne peux pas la garder chez moi ! Je repasserai d’ici quelques jours voir où elle en est.
- Quelques jours ??? Mais tu veux ma mort Nasreddine ! Il n’en est pas question !
- Voisin, je te rappelle que ce clou est à moi et que j’en fais ce que je veux.
- Alors je te le rachète, ce maudit clou, que nous n’en parlions plus. Tiens, voilà une pièce d’argent !
Nasreddine prend un air peiné :
- As-tu déjà oublié que ce clou est pour moi bien plus qu’un clou ? Je ne conçois pas de le vendre … ou en tous cas pas à moins de, disons … 500 pièces.
Et que croyez-vous qu’il advint ?
Perdre sa vie
Nasreddine a exercé de nombreux métiers dans sa riche vie, dont celui de passeur sur la rivière.
Un jour, un érudit se présente à sa barque, chargé de lourds livres. Tandis que Nasreddine rame pour traverser la rivière, l’érudit l’interpelle :
– Dis-moi Nasreddine, sais-tu seulement lire ?
– Non, érudit, je n’ai jamais eu ni le temps ni l’occasion de le faire.
– Ha ! Alors tu as perdu la moitié de ta vie !
Nasreddine est blessé mais ne répond rien.
Des remous, une vague, un rocher affleurant, la barque se renverse et voici les deux hommes à l’eau.
– Au secours, Nasreddine ! Au secours !
– Et bien quoi, l’érudit, tu ne sais donc pas nager ?
– Non, Nasreddine, je n’ai jamais eu ni le temps ni l’occasion de le faire.
– Ha ! Alors c’est toute ta vie que tu es en train de perdre !
Garder un secret
Nasreddine avait un disciple, attiré par sa réputation de maître de sagesse et très désireux d’apprendre. Mais très vite le disciple se rebiffe :
– Cela fait plusieurs mois que je te suis, et tu ne m’as toujours pas confié de secret à garder ! Pourtant, je suis prêt !
– Vraiment ? Alors nous verrons demain.
Le soir venu, Nasreddine se rend dans le grenier et capture une petite souris attirée par le grain. Délicatement, il l’enferme dans un petit coffret, et le lendemain, confie ce coffret à son disciple :
– Prends garde, disciple, car dans ce coffret se trouve un secret de sagesse de la plus haute importance ! Il ne te faut l’ouvrir sous aucun prétexte !
Flatté, le disciple prend le coffret, promet et remercie. Mais la curiosité le taraude bientôt, et après quelques heures d’affres, il ouvre le coffret … pour voir la souris s’en échapper.
– Nasreddine ! Tu t’es moqué de moi ! Ton secret n’était qu’une souris !
– Disciple, tu n’es pas encore capable de garder une souris et tu voudrais que je te confie un secret ? Patiente et apprends.
Les grandes questions
Le disciple de Nasreddine aimait beaucoup les grandes théories et les questions profondes.
Un jour, ayant fini de préparer son repas, il jette un peu d’eau sur ses braises qui s’éteignent en faisant « pchtt ». Stupeur.
Tout excité, il se précipite chez Nasreddine, en train de cuisiner.
– Maître, j’ai une grande question pour toi !
Il vide la gamelle où Nasreddine préparait son repas, la remplit d’eau et la jette sur les braises qui font « pchtt » en s’éteignant.
– Dis-moi maître, le « pchtt » que nous avons entendu, est-ce la braise ou l’eau qui l’a produit ?
Nasreddine regarde son repas renversé, son feu éteint et son disciple enthousiaste.
Il se lève et lui colle une claque magistrale.
– Dis-moi disciple, le « clac » que nous avons entendu, est-ce ma main ou ta joue qui l’a produit ?
Les chats ne font pas des chiens
Nasreddine rentre chez lui avec un magnifique plateau de gâteaux qu’il compte bien manger tout seul. Mais son fils est là, à peiner sur ses devoirs, et Nasreddine doit ressortir.
Par précaution, il lui dit :
– Mon fils, ne touchent à ces gâteaux sous aucun prétexte ! Ils sont empoisonnés ! Sois sage et fais bien tes devoirs.
Rassuré, il ressort, pour trouver à son retour … le plateau vide et son fils allongé sur des coussins, les yeux fermés.
– Mes gâteaux ! Tes devoirs ! Qu’as-tu fait misérable ?
– Oh père, prends pitié de moi ! J’ai échoué à faire mes devoirs, ce qui m’a couvert de honte. J’ai alors voulu trouver refuge dans la mort et j’ai pensé à tes gâteaux empoisonnés. Pour être sûr, je les ai tous mangés et à présent j’attends la mort.
Nasreddine voudrait se mettre en colère, mais il n’y parvient pas. Alors il sourit :
– Les chats ne font pas des chiens. Je suis fier de toi mon fils.
Tu as raison
Nasreddine est devenu juge de paix. Sa première affaire porte sur la vente d’un âne.
– L’acheteur ne m’a payé que la moitié du prix convenu ! N’ai-je pas raison de la traiter de voleur ?
Alors Nasreddine réfléchit profondément et répond :
– Tu as raison.
– Pas du tout, répond l’acheteur. Je n’ai payé que la moitié du prix convenu car le vendeur avait omis de me dire que son âne était malade et boiteux. N’ai-je pas raison de ne payer que la moitié ?
Alors Nasreddine réfléchit profondément et répond :
– Tu as raison toi aussi.
Puis, content de son travail et plantant là les deux plaignants, il rentre chez lui raconter cette affaire à sa femme.
– Nasreddine, tu es en train de me dire qu’ils disaient le contraire l’un de l’autre et qu’à tous les deux tu as dit qu’ils avaient raison ? Mais c’est absurde, c’est complètement idiot !
Alors Nasreddine réfléchit profondément et répond :
– Toi aussi tu as raison.
Quand je dors
Un jour, la femme de Nasreddine le voit face à un miroir … les yeux fermés !
– Mais que fais-tu mon époux ?
– Chut mon épouse ! Je me concentre ! Je veux savoir quelle tête j’ai quand je dors.
Ainsi tire Nasreddine
Nasreddine est invité à déjeuner à la table du Sultan. A la fin du repas, tandis qu’il continue consciencieusement de s’empiffrer, un serviteur installe une cible et apporte au Sultan un arc et 4 flèches.
Le Sultan se saisit de l’arc, vise soigneusement et plante sa flèche en plein cœur de la cible.
– Ainsi tire le Sultan !
Le Grand Vizir se saisit alors de l’arc, vise soigneusement à son tour et plante lui aussi sa flèche en plein cœur de la cible.
– Ainsi tire le Grand Vizir !
Le Général se saisit enfin de l’arc, vise soigneusement lui aussi et plante là encore sa flèche en plein cœur de la cible.
– Ainsi tire le Général !
Nasreddine, de la sauce plein les doigts, sent des regards insistants peser sur lui.
Alors avec un soupir, il s’essuie les mains, prend l’arc, tire sans viser et plante sa flèche dans un arbre alentour. Sous les regards médusés de l’assistance, il se lève et dessine à la craie une cible autour de sa flèche.
– Ainsi tire Nasreddine ! Il reste du poulet ?
Le meilleur, je vous dis !
Nasreddine a exercé de nombreux métiers. Un de ceux qui ont fait sa fortune est celui de tailleur à la capitale. Dans cette ville, les artisans vivent regroupés par quartier. Il y a ainsi la rue des joailliers, la rue des menuisiers, la rue des poissonniers … et la rue des tailleurs.
La concurrence y est très rude, alors Nasreddine décide de commencer par observer avant d’ouvrir son échoppe.
Le premier jour, le voisin d’en face affiche devant sa boutique : « Le meilleur tailleur de la ville ! ». Les clients affluent et il fait une très bonne journée.
Jaloux, le voisin de droite affiche alors le jour suivant : « Le meilleur tailleur du pays ! ». Délaissant le premier tailleur, les clients s’y précipitent.
Ulcéré, le voisin de gauche affiche alors : « Le meilleur tailleur du monde ! » Une fois encore, le flot des clients change d’échoppe.
Amusé, Nasreddine affiche alors : « Le meilleur tailleur de la rue ! » et son échoppe n’a jamais désemplit.
Les trois conseils
Enfant, Nasreddine était déjà avide de savoir et de sagesse. Aussi, le jour où un marchand lui demande de porter une caisse pleine de carafes en verre jusque chez lui en échange de 3 conseils « qui lui seront utiles toute sa vie », il accepte sans hésiter.
La caisse est lourde et la maison est loin. Aussi, arrivé au tiers du parcours, Nasreddine demande son premier conseil en paiement. Alors le marchand lui dit : « Si quelqu’un te dit qu’il vaut mieux être pauvre que riche, ne le crois surtout pas ! » Nasreddine est surpris, mais reprend son chemin.
Arrivé aux deux tiers, épuisé, il demande son deuxième conseil. Alors le marchand lui dit : « Si quelqu’un te dit qu’il vaut mieux être malade qu’en bonne santé, ne le crois surtout pas ! » Nasreddine est encore plus surpris, mais reprend malgré tout sa charge.
Arrivé à la maison du marchand, il demande son troisième conseil. Alors le marchand lui dit : « Si quelqu’un te dit que je t’ai raconté n’importe quoi, ne le crois surtout pas ! »
Alors Nasreddine regarde l’homme et lui dit : « à mon tour ! ». Il jette la caisse au sol de toutes ses forces et crie en s’enfuyant : » Si quelqu’un te dit qu’il reste une seule carafe intacte dans cette caisse, ne le crois surtout pas ! «
Un éventail à une pièce d’argent
Par un jour de grande chaleur, Nasreddine décide de vendre des éventails sur le marché. Ses affaires se portent bien, lorsqu’il voit sortir du palais un magistrat réputé pour son extrême pingrerie.
– Combien coûte tes éventails, Nasreddine ?
– Eh bien, cela dépend : ce joli modèle, qui irait très bien à un homme de ton importance, coûte 5 pièces d’argent.
– C’est trop cher ! Et celui-ci ?
– Celui-ci est moins élégant mais reste de très bonne qualité. Il coûte 3 pièces d’argent.
– C’est toujours trop cher ! N’as-tu pas un éventail à une pièce d’argent ?
Nasreddine gromelle, fouille dans son stock et brandit un éventail à l’aspect piteux :
– Tiens, celui-ci vaut une pièce d’argent.
Content de son achat, le magistrat s’éloigne de quelques pas … pour revenir furieux :
– Nasreddine ! Tu m’as volé ! Ton éventail est déjà brisé !
– Comment t’en es-tu servi, ô magistrat ?
– Et bien comme on se sert d’un éventail, en le secouant devant mon visage !
– Ah non, ô magistrat, c’est ainsi qu’on se sert d’un éventail à 5 pièces ou même à 3 pièces d’argent. Mais voilà comment on se sert d’un éventail à une pièce d’argent :
Et tenant son éventail immobile devant son visage, il secoue vivement la tête.
Qui es-tu ?
Nous sommes au marché. Nasreddine discute tranquillement avec un de ses amis lorsqu’un jeune homme arrive, et sans y prêter garde, se plante devant un étal et écrase le pied de Nasreddine sous sa grosse chaussure.
- Tu dois être le fils de notre bon Sultan, lui dit Nasreddine d’une voix de miel.
- Ah non, pas du tout.
- Alors, celui de notre grand Vizir peut-être ? continue Nasreddine avec un grand sourire
- Non plus.
- Oh, dans ce cas tu dois être le fils du juge de la ville, c’est cela ?
- Pas d’avantage, mon père ne fait que porter des cageots sur le marché.
- Alors ôte ton pied de là tout de suite avant que je ne te casse les reins !
Ce que mon père a fait il y a 20 ans
Au marché, Nasreddine attache son âne et va faire ses achats. Un voleur en profite pour lui dérober son âne. Quand Nasreddine s’en rend compte, il entre dans une rage folle, grimpe sur la première table venue et hurle à la cantonade :
– Je vous préviens : si mon âne ne m’est pas rendu avant midi, je ferais exactement ce que mon père a fait quand on lui a volé son âne, il y a 20 ans !
La rumeur se repend comme une trainée de poudre, avec cette question : qu’est-ce que le père de Nasreddine a bien pu faire de si terrible il y a 20 ans de cela ? Personne ne s’en souvient …
La rumeur parvient aux oreilles du voleur qui, prudent, préfère remettre l’âne là où il l’a trouvé.
Satisfait, Nasreddine récupère sa monture et tandis qu’il va pour rentrer chez lui, la foule lui demande :
– Dis-nous, Nasreddine : qu’a fait ton père lorsqu’on lui a volé son âne ?
– Que vouliez-vous qu’il fasse ? Il est rentré à pied !
Le turban
Nasreddine prend tranquillement le soleil sur le pas de sa porte lorsqu’un homme lui tend une lettre :
– Tiens, lis-moi ça, le sage !
– Ah, je suis désolé : cette lettre est en farsi *, et je ne sais pas lire le farsi.
– Comment ? Pourtant tu portes un turban Perse, donc tu dois savoir lire cette langue !
Avec un soupir, Nasreddine retire son turban et le place sur la tête de l’homme qui prend une mine ahurie.
– Maintenant que tu as toi aussi un turban Perse, tu n’as qu’à lire ta lettre toi-même !
(*) farsi : langue persane
La pluie
Pas une goutte de pluie sur le village de Nasreddine depuis des mois. Le puits est à sec, les réserves épuisées.
Les villageois se tournent vers Nasreddine :
– Toi qui es sage, fais pleuvoir !
Nasreddine réfléchit et répond :
– Apportez-moi une bassine d’eau.
– Tu es fou ! Les réserves sont épuisées !
– Débrouillez-vous.
Les villageois hésitent puis se décident à lui apporter l’ultime réserve. Devant l’eau, Nasreddine enlève son manteau … le plonge dans l’eau et le savonne avec ardeur.
– Tu es fou ! Nos dernières gouttes, tu les gâches pour ta lessive !
Nasreddine jette l’eau et répond :
– Apportez-moi une autre bassine d’eau.
– Il n’y en a plus !
– Je vous connais : tous vous en avez gardé un peu pour vous. Si vous voulez la pluie, amenez-la moi.
Les villageois ne savent que faire, puis se décident. Tous, gênés, admettent avoir gardé un peu d’eau et acceptent de l’apporter. Dans l’eau, Nasreddine … plonge son manteau et le rince vigoureusement. Les villageois, en rage, le voient jeter l’eau, essorer son manteau et l’étendre. Ils vont se jeter sur lui lorsque le ciel s’obscurcit et que la première goutte de pluie tombe. Bientôt c’est le déluge.
Nasreddine soupire :
– C’est toujours comme ça : dès que j’étends mon linge, il pleut !
La citrouille et le gland
Nasreddine se prélasse à l’ombre d’un chêne, contemplant d’un air critique le monde.
– Je ne comprends pas la logique de la création : le chêne, si grand, fort et majestueux, ne produit comme fruit que des glands ridicules. Alors que la courge, plante basse et vile, condamnée à ramper sur le sol, produit des fruits magnifiques et imposants. Pourquoi un tel illogisme ?
Sur cette réflexion, un gland se détache du chêne et tombe sur le bout du nez de Nasreddine, qui soudain s’illumine :
– Ça y est, j’ai compris la sagesse de la création !
Marche !
Nasreddine somnole à l’ombre d’un figuier, lorsqu’un homme l’aborde :
– Dis-moi : combien de temps pour rejoindre la ville ?
– Marche !
– Comment ? Mais je t’ai posé une question !
– Et moi je te dis de marcher !
– Mais enfin …
– Mais vas-tu enfin marcher ?
J’ai été poli, t’ai demandé ton aide, et en retour tu m’envoies promener ? Quel malotru !
Et l’homme de s’en aller en marmonnant quelques injures bien senties.
– Stop ! dit Nasreddine. Puis, l’ayant rejoint :
– Maintenant que j’ai vu à quelle allure tu marches, je peux te dire qu’il te faudra un peu moins de deux heures pour arriver à la ville.
La farine
L’erreur est humaine, alors comment la distinguer de la malhonnêteté ?
Sa récolte faite, Nasreddine apporte son blé au moulin pour le faire moudre. Tandis que le meunier œuvre et ne prête pas attention à lui, Nasreddine se sert de quelques poignées de grain dans les sacs des autres clients. Le meunier le surprend alors :
– Que fais-tu, Nasreddine, tu voles du grain ?
– Oh non, meunier, c’est juste que je suis assez idiot pour me tromper et prendre le grain des autres pour le mien.
– Alors pourquoi ne te trompes-tu pas aussi dans l’autre sens ?
– Je suis idiot, meunier, mais quand même pas à ce point !
Le Manteau
Après une dure journée de travail aux champs, Nasreddine rentre chez lui.
Chez son voisin, la fête bat son plein. Espérant se faire inviter, Nasreddine frappe à la porte, mais dès qu’il le voit, son voisin s’exclame :
– Nasreddine ! Dans quelle tenue viens-tu me voir ? Pas de loqueteux chez moi !
Et il lui claque la porte au nez. Nasreddine examine sa tenue et de fait, il a piètre mine : ses vêtements sont vieux, usés et troués. Il rentre se changer et met ses plus beaux habits. Ainsi paré, il refrappe chez son voisin qui, cette fois, l’accueil à bras ouverts. Nasreddine s’attable avec les autres convives et se saisit d’une poignée d’aliments qu’il répand avec soin sur ses habits :
– Tiens mon beau manteau, régale-toi ! Et toi, ma djellaba, aime-tu ces beaux légumes ?
– Nasreddine ! Mais tu es fou !
– Voisin, je suis venu te voir deux fois mais tu ne l’as accueilli que portant mes beaux habits. Que veux-tu que je comprenne ? Ce sont donc eux que tu as invités à manger, pas moi !
La question
Nasreddine se fait interpeler :
– Pourquoi réponds-tu toujours à une question par une autre question ?
– Qui ça, moi ???
Parles-nous !
Sa réputation grandissant, Nasreddine est de plus en plus souvent sollicité pour parler en public. Ce dont il a horreur.
Arrivé au marché, la foule l’acclame :
- Nasreddine, toi qui es si sage, parle-nous !
Il essaie de se libérer, mais rien à faire : la foule le pousse jusqu’à une estrade. Avec un soupir, il prend alors la parole :
- Savez-vous de quoi je vais vous parler ?
- Non !
- Pas question de m’adresser à des ignorants !
Et devant la foule médusée, il s’en va. La foule convient alors de changer sa réponse la prochaine fois.
La semaine suivante, la même scène se déroule. Avec un profond soupir, Nasreddine prend la parole :
- Et cette fois, savez-vous de quoi je vais vous parler ?
- Oui !
- Alors inutile que je vous le dise !
Et devant la foule médusée, une fois de plus, il s’en va. La foule se décide alors : la moitié droite dira « oui » tandis que la moitié gauche répondra « non ». Ainsi la foule verra bien de quoi il veut parler.
Alors la semaine suivante, la même scène se déroule. Avec un soupir exaspéré, Nasreddine prend la parole :
- Bon, savez-vous de quoi je vais vous parler ?
- Oui ! répond la moitié droite
- Non ! répond la moitié gauche
- Et bien que ceux qui savent le disent aux autres, et maintenant laissez-moi tranquille !
Comment bien faire ?
Un matin, les villageois ont la surprise de voir Nasreddine monter son âne … assis à l’envers !
- Nasreddine, qu’as-tu encore inventé ???
- Eh bien cette nuit, j’ai réfléchi : montrer son dos à quelqu’un est un grand manque de respect chez nous, nous sommes bien d’accord ?
- Oui, mais …
- Alors si je chevauche devant toi, je te montre mon dos, et je ne souhaite pas te manquer de respect. Mais si c’est toi qui chevauches devant moi, c’est toi qui me montres ton dos et je ne souhaite pas non plus que tu me manques de respect. J’ai tourné la question dans tous les sens toute la nuit, et j’en suis arrivé à la seule conclusion logique : la seule manière de bien faire et de chevaucher à l’envers !
L’envol
Nasreddine doit se rendre dans un village de la montagne. Pressé et d’humeur peu délicate, il emprunte l’âne de son voisin sans lui en demander la permission.
Tout se passe bien jusqu’au chemin du retour, où l’âne et Nasreddine doivent franchir un passage périlleux en surplomb d’un ravin. Alors que Nasreddine tient l’âne par la bride, l’animal glisse et tombe dans le précipice.
A son retour, il se fait accueillir vertement par son voisin :
– Où est mon âne ?
– Voisin, je suis désolé : il s’est envolé.
– Envolé ? Que me chantes-tu là ? Mon âne ne sait pas voler !
– Oh si, très très bien, même ! En revanche pour ce qui est d’atterrir …
Prise de conscience
Le Sultan était laid, très laid. Personne n’osait le lui dire, bien entendu. Au contraire, les courtisans faisaient tout leur possible pour l’empêcher de se voir dans un miroir. Ils avaient si bien réussi que même à un âge avancé, il n’avait jamais vu son reflet.
Mais ce qui devait arriver arriva. Un jour, alors qu’il discute avec Nasreddine, ses yeux tombent sur son reflet et il voit à quel point il est laid. D’une laideur telle que tout Sultan qu’il est, il fond en larmes. Emu à son tour, Nasreddine se joint à ses lamentations et tous deux pleurent toutes les larmes de leurs corps.
Les courtisans affolés essaient par tous les moyens de consoler le Sultan. A force de distractions et de bouffons, ils parviennent enfin à sécher ses larmes. Mais pas celle de Nasreddine.
– J’ai vu mon image, ma laideur et cela m’a fait pleurer. Mais à présent, je vais mieux. Pourquoi continues-tu de pleurer, Nasreddine ?
– Ô Sultan, tu t’es vu une seule fois et ta laideur a suffi à te faire pleurer. Alors imagine, pour moi qui te vois tous les jours …
L’heure de ma mort
Nasreddine n’aime pas l’injustice. Alors le jour où il voit le juge du Sultan bastonner un pauvre innocent, il ne peut s’empêcher d’intervenir. Saisi d’une inspiration malicieuse, il lui lance :
– Tu as eu tort de frapper ce malheureux ! Tu ne l’emporteras pas au Paradis ! Et sache que j’ai lu dans les signes de Dieu que tu mourras bientôt, très bientôt !
Nasreddine a la réputation d’être un sage et un mystique. Cette imprécation fait grand effet sur le juge. Désorienté, ce dernier traverse la rue sans prêter attention et se fait renverser par un cheval. Il meurt sur le coup
Toute cette histoire parvient aux oreilles du Sultan qui entre dans une grande colère. Il envoie ses gardes chercher Nasreddine avec l’intention de le faire exécuter.
– Nasreddine, il parait que tu as des dons de devins, que tu lis dans les signes de Dieu. Il a donc dû te dire quand tu vas mourir, non ?
– Ah non, Sultan, cela je ne le sais pas. Ma vie est avant tout dans tes mains. Pour ce qui te concerne, par contre, Il m’a dit que tu mourrais le lendemain de ma mort.
A ces mots, le Sultan entre dans une colère encore plus grande. Mais décide prudemment de libérer Nasreddine.
La fontaine
Par une chaude journée d’été, Nasreddine se met en route pour le marché. Arrivé sur place, assoiffé, il avise une fontaine. Curieusement, la bouche de la fontaine est obstruée par un bout de bois entouré de chiffon. Nasreddine retire le bouchon et un puissant jet d’eau l’inonde de la tête aux pieds. Furieux, il s’exclame :
– Ah ! Je comprends à présent pourquoi les gens d’ici t’ont bouché, vilaine fontaine ! Si tu avais été un peu plus aimable, ils t’auraient laissée en paix !
Mon âne se porte bien
Nasreddine est convié à la chasse par le Sultan. De peur de vexer ce dernier, il se rend à l’invitation mais reste à l’écart.
Soudain, alors que toute la cour est dispersée dans la forêt, il se met à pleuvoir à verse. Le temps de rentrer au camp, tout le monde est trempé jusqu’aux os. Sauf Nasreddine.
– Par quel prodige tes vêtements sont-ils restés secs alors que nous sommes tous trempés ? s’emporte le Sultan.
– Par le prodige de mon âne qui se porte bien.
– Ton âne est donc si rapide ? Donne-le-moi !
– Mais …
– Silence ! Obéis !
Nasreddine grommèle mais s’exécute. Le lendemain, la chasse reprend et l’averse également. Toute la cour se met rapidement à l’abri, à l’exception du Sultan qui n’arrive que bien après les autres.
– Nasreddine ! Tu m’as menti ! Ton âne est stupide et lent ! Regarde-moi : je suis trempé !
– Ô Sultan, je n’ai jamais vanté sa rapidité. Je décrivais son embonpoint. Si comme moi tu avais retiré tes vêtements pour les attacher sous son ventre, ils seraient restés secs.
La réputation
Le plus riche marchand du village donne une fête somptueuse, avec un banquet magnifique. Mais Nasreddine n’est pas invité. Il va néanmoins voir l’hôte :
– Des langues de serpents disent de toi que tu es le plus gros avare de tous les temps, un grippe-sou comme jamais on n’en a vu, des oursins dans les poches et une bourse en peau de hérisson !
– Moi ! Mais quelle calomnie ! Si j’étais avare, est-ce que je donnerai un tel banquet ?
– Je le savais bien que ce n’étaient que des jaloux ! Je le sais bien, moi, que tu es généreux !
Et il s’installe confortablement à table.
L’Homme le plus sage
Nasreddine a la réputation d’être sage, et nombreux sont ceux qui viennent le questionner. Un jour, un groupe d’étudiants l’interpelle :
– Nasreddine, quel Homme est le plus grand ? Celui qui par la force conquiert un empire ? Celui qui pourrait le faire mais ne le fait pas ? Ou celui qui l’empêche de le faire ?
Nasreddine, perplexe, répond :
– Je ne sais pas, mais je sais quel Homme sera le plus sage.
– Ah ! Et qui donc ?
– Celui qui arrivera à vous faire voir les choses telles qu’elles sont en réalité et vous fera oublier toutes ces questions qui n’ont pas de sens !
Le nez
Nasreddine prend le soleil sur le pas de sa porte. Plié en deux et gémissant de douleur, son voisin vient le trouver :
– Nasreddine, je t’en prie, aide-moi ! J’ai tellement mal au ventre …
– Qu’as-tu mangé hier soir ?
– Un morceau de viande que j’avais acheté il y a trois semaines et que j’ai retrouvé sur le bord de ma fenêtre.
– Et qu’as-tu bu ?
– Un verre de lait, acheté le même jour et retrouvé au même endroit.
– Ah, ton cas est simple à traiter : prend cette pommade et étale-là sur ton nez matin et soir. Dans deux jours tu seras guéri.
– Mais tu te moques de moi ! Je te dis que j’ai affreusement mal au ventre et tu veux soigner mon nez ?
– Je t’assure, voisin : dès que ton nez sera guéri, tu ne mangeras plus jamais pareille viande et tu ne boiras plus jamais pareil lait.
Avoir raison
Nasreddine ayant la réputation d’être sage se fait souvent interpeler pour prodiguer conseils et leçons de sagesse. Un savant vient le voir un jour :
– Nasreddine, quels sont les secrets de ta sérenité ?
– Je ne cherche jamais à avoir raison et j’évite de discuter avec les raisonneurs.
– Mais c’est absurde ! Cela ne peut pas marcher !
– Tu as raison !
Et il s’en va.
Le voleur
Nasreddine a toujours eu peur des voleurs. Son voisin le sachant lui parle un jour de cambrioleurs si audacieux et si silencieux que nul jamais n’a pu les prendre sur le fait.
La nuit suivante, torturé par la crainte, Nasrddine ne trouve pas le sommeil. Soudain, au beau milieu de la nuit, il secoue sa femme :
- Réveille-toi ! Réveille-toi !
- Mais que se passe-t-il mon mari ?
- Chut ! Est-ce que tu entends quelque chose ?
Elle tend l’oreille avec attention :
- Je n’entends rien du tout Nasreddine !
- Alors ce sont eux !
Le trou
Son voisin trouve Nasreddine en plein ouvrage, à creuser à grande peine un grand trou dans son jardin.
– Que fais-tu Nasreddine ?
– Tu le vois : je creuse un trou.
– Pour quoi faire ?
– Pour y enfouir les pierres de mon jardin, elles prennent trop de place.
– Mais Nasreddine, une fois tes pierres enfouies, que feras-tu de la terre que tu as retirée du trou ?
Alors d’un ton agacé :
– Ecoute, tu vois bien que j’ai énormément de travail, non ? Je penserai à cela plus tard !
La lumière les attire
Nasreddine et sa femme attendent un heureux évènement. Au cœur de la nuit, sentant l’enfant prêt à naître, elle réveille son mari. Nasreddine court chercher la sage-femme, allume une bougie et la place sur la table. Puis, nerveux, il attend en faisant les cent pas dans la chambre. Un cri de nouveau-né retentit bientôt.
– C’est un garçon !
Nasreddine est fou de joie d’être père. Mais un deuxième cri retentit aussitôt.
– Et maintenant, une fille !
Nasreddine est surpris, mais sa joie n’en est que plus grande. Un troisième cri se mêle au concert.
– Et un autre garçon !
Aussitôt, Nasreddine se précipite vers la bougie et l’éteint.
– Mais que fais-tu Nasreddine ? Je ne vois plus rien !
– Trois enfants, c’est bien assez ! Tu ne comprends pas que c’est la lumière qui les attire ?
Un oiseau
Un jour, Nasreddine réussit à capturer une cigogne. Ravi de sa prise, il la montre à ses amis qui se moquent de lui :
- Un oiseau, ça ? Tu trouves réellement que ça ressemble à un oiseau ?
Vexé, Nasreddine doit se rendre à l’évidence : la cigogne ne ressemble pas aux autres oiseaux. Qu’à cela ne tienne : armé d’un couteau, il lui raccourci le bec, les pattes et la queue. Puis, prenant un pas de recul :
- Voilà : maintenant tu ressembles à un oiseau !
Le rocher
Le voisin de Nasreddine passe beaucoup de temps à se plaindre, surtout de son âge.
– Ah, pauvre de moi ! Les années pèsent sur mes épaules, je ne suis plus bon à rien ! Quand je pense à tout ce que je pouvais faire quand j’avais 20 ans ! Lassé, Nasreddine finit par lui répondre :
– Eh bien moi, je suis toujours aussi fort que lorsque j’avais 20 ans !
– Quel prétentieux !
– Mais non voisin, c’est la vérité. Tiens, vois-tu ce gros rocher près de ma maison ? Quand j’avais 20 ans, j’étais in-ca-pa-ble de le soulever. Eh bien hier, j’ai à nouveau essayé : je n’y arrive toujours pas. Je suis donc toujours aussi fort qu’à 20 ans !
Tout prévoir
Ce jour-là, la femme de Nasreddine est d’une humeur massacrante : – J’ai besoin d’un œuf frais. Va au marché, et vite ! Ravi de l’échappée, Nasreddine se rend au marché et en revient avec … un œuf.
– Mais que veux-tu que je fasse avec un seul œuf ? C’est par demi-douzaine qu’il faut les prendre, imbécile !
Nasreddine retourne chercher cinq œufs, laisse passer la tempête et le calme revient provisoirement sous son toit.
Quelques jours plus tard, sa femme se réveille bien malade :
– Je ne me sens pas bien. Va me chercher un médecin, et vite ! Nasreddine s’empresse de s’exécuter, et revient chez lui en compagnie de six personnes :
– Cette fois tu seras contente, ma femme ! J’en ai pris une demi-douzaine : tu as là le médecin pour t’examiner, le pharmacien pour te préparer ton remède, le marchand de bouillotte pour te tenir chaud, le marchand de bois pour faire une bonne flambée, l’imam pour prier pour ta guérison, et au cas où, le croque-mort !
Le défi
Un savant réputé décide un jour de se confronter à ce Nasreddine dont on lui rabat les oreilles. Il se rend dans son village et interpelle un homme appuyé de tout son long contre un mur :
– Eh, toi ! Va me chercher le fameux Nasreddine ! On le dit le plus malin de tous, j’en doute et je vais le prouver !
– Je voudrais bien, seigneur, mais voyez vous-même : il me faut soutenir ce mur branlant de peur qu’il ne s’écroule.
– Va le chercher, te dis-je ! Je m’occupe de ce mur !
Et le savant de prendre la pause pendant que l’homme s’en va chercher Nasreddine. De longues heures passent, nul ne revient. Le savant s’en inquiète et interroge un passant. Ce dernier éclate de rire :
– Défier Nasreddine ? Pauvre fou ! C’est à lui que tu as eu affaire ! Tu peux l’attendre longtemps !
Partage des tâches
De bon matin, Nasreddine s’en va sur le marché pour vendre les légumes de son jardin. Il en remplit un grand sac, le charge sur ses épaules et enfourche son âne. Son voisin, le voyant partir dans un tel équipage, l’interpelle :
– Nasreddine, mais pourquoi portes-tu ton lourd sac sur tes épaules ?
– Mais enfin, pour soulager mon âne, bien sûr ! Le pauvre doit déjà me porter, je ne vais pas le charger du sac en plus !