Coacher dans un « aquarium » ? C’est prendre le risque de tourner en rond

Je suis parfois surpris par le choix de certains de mes clients quant au lieu de déroulement de leurs séances. Pourtant, le cadre d’un coaching est un élément qui porte souvent du sens. Comme j’interviens sur l’ensemble du territoire et au-delà, je ne dispose pas toujours de locaux adéquats proches de mes clients. Je leur propose donc de choisir un lieu à leur convenance.

La plupart cherchent alors un endroit calme, le plus calme possible. Certains insistent également pour le faire sur leur lieu de travail*. Du coup, nous nous retrouvons parfois dans une de ces salles de réunions dont certaines grandes entreprises ont le secret : 2m² coincés allez savoir comment entre deux parois aveugles, une porte et une grande baie vitrée obstruée par un store. Un véritable aquarium.

Chercher le calme, pourquoi pas. Prêter grande attention à la confidentialité des échanges, évidement. Mais pourquoi s’isoler à ce point du monde réel ? Le coaching est en effet une démarche qui est supposée s’inscrire dans la vie, dans l’implication et l’engagement, pas dans le retrait et le repli.

En quoi le choix du cadre d’un coaching est-il si important ? Qu’est-ce qu’un lieu plus réel, plus vivant apporte à la démarche de coaching ? Plusieurs choses importantes.

Elargir le champ relationnel

Les autres personnages

Elle apporte une immersion en situation bien plus réelle qu’une salle aseptisée, avec plus d’espace et plus de « figurants ». Elle permettra donc des réactions plus naturelles et diverses. Ces réactions, pas besoin pour autant pour le coach de les analyser. Il suffit de leur laisser prendre leur place, éventuellement de proposer d’en partager la perception. La personne accompagnée saura quoi en faire. J’en ai encore fait l’expérience il y a deux semaines.

Lors d’un déjeuner, Christophe**, dirigeant d’entreprise, me soumet sa difficulté à fidéliser ses responsables de site. Sans entrer dans le détail, il venait d’en perdre un de plus, parti à la concurrence, pour un « package » sensiblement identique à celui qu’il propose. « Tout ça pour une question d’aménagement d’horaires. Le sens de la loyauté se perd ! ». Il décide cependant de consacrer sa séance à une autre question.

Nos plats sont servis, je remercie le serveur, Christophe témoigne d’une impatience silencieuse : il a été interrompu dans sa phrase par le service. Fin du repas, le serveur débarrasse, je le remercie encore une fois sous le sourire amusé de Christophe : ce genre de comportement le dépasse. En contexte professionnel, il n’envisage de relation que strictement professionnelle, « sans fioriture » pour reprendre son expression. « Je passe commande, je paie, restons-en là. Pourquoi devrais-je en faire plus ? Rien ne m’y oblige. » Ma réponse, avec sa permission : « C’est possible. Et qu’est-ce que cela dit de votre situation actuelle ? » Un long silence méditatif a suivi cette question.

Ce jour-là, grosse prise de conscience pour Christophe : la loyauté se construit sur la dimension humaine d’une relation et non sur sa dimension contractuelle. Je dois avouer que sans son aide explicite, je n’aurais sûrement pas pensé aussi vite à lui proposer d’explorer une dimension qui me paraissait implicitement si triviale.

Permettre la mise en scène

Autre avantage du coaching en espace public : donner une possibilité supplémentaire à la personne accompagnée de s’envoyer à elle-même des messages, consciemment ou non, à travers la mise en scène de notre rencontre. J’ai souvenir d’une séance particulièrement éloquente en la matière.

J’avais rendez-vous avec Jean-Philippe**, directeur commercial régional, dans une brasserie choisie par ses soins. Son mode de vie professionnel semi-nomade l’avait conduit à se construire tout un réseau de lieux dans lesquels il avait ses habitudes. Arrivé en avance, il s’est installé à sa table de prédilection, m’a-t-il confié à mon arrivée. La séance a commencé, et très vite j’ai pris conscience de ma difficulté à me concentrer et à suivre son discours. Certes, il passait continuellement du coq à l’âne, mais je suis accoutumé à ce genre d’errances. Il y avait autre chose.

Trouver le parallèle

Un des objets de son coaching était précisément sa tendance à se disperser au gré des interruptions et « parasitages » du quotidien. Un deuxième thème tenait à sa difficulté de transmettre des instructions claires à son équipe. Le parallèle possible avec la situation en cours m’a semblé évident.

cadre d'un coaching et perturbations

J’ai alors essayé d’identifier plus précisément la source de ma distraction. En ce début d’après-midi, la brasserie était presque déserte et le personnel avait fini de débarrasser les couverts du midi. Ce n’était donc pas notre entourage qui était source de perturbation. Et soudain, levant les yeux … j’ai vu, très exactement au-dessus de Jean-Philippe, un haut-parleur inondant les environs d’un mélange de variétés et de spots publicitaires. Jean-Philippe m’a vu sourire, puis fouiller toute la pièce du regard.

A sa demande, j’ai partagé avec lui mon observation. Je l’ai vu pâlir : « Cela ne veut rien dire, il y en a partout des haut-parleurs dans cette brasserie. » Non. Il n’y en avait que trois dans toute la salle, deux au-dessus de portes et un seul au-dessus d’une table. Il avait choisi la seule table de tout l’établissement (pourtant de taille conséquente) qui était directement exposée à des parasites sonores. « Vous voulez dire que je cherche les distractions pour ne pas me concentrer sur ma tâche ? »

Non, bien sûr, je ne voulais rien dire de tel. Mais lui venait de trouver à cette occasion un boulevard de progression à travers son coaching. Quel plaisir de le voir élaborer avec enthousiasme tout au long de cette séance ! Et quelle belle illustration de l’importance du choix du cadre d’un coaching.

Le coaching : une démarche d’ouverture

Ouverture et effet miroir

Le coaching est une démarche d’exploration en lien avec le monde qui nous entoure. Il peut donc être décidément dommage de ne pas inclure ce dernier dans cette démarche. Le cadre d’un coaching n’en est pas seulement le réceptacle, l’écrin : il en est un effet constituant.

Et rappelons-nous que table et chaise sont totalement superfétatoires dans le cadre d’un coaching. Savoir s’en passer ouvre tellement d’horizons ! Cela représente tellement de sources d’inspiration possibles !

Je ne saurais conclure cet article sans remercier Christophe et Jean-Philippe pour leur confiance et tous les échanges que nous avons pu avoir.

* Coacher sur le lieu de travail n’est à mon sens pas la meilleure option, mais nous aborderons éventuellement cette question dans un autre article

** Prénoms changés pour des raisons  d’anonymat et de confidentialité

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