Vous avez dans vos équipes un ingénieur ou un chercheur brillant, reconnu pour son expertise technique ou scientifique. Cela fait bon nombre d’années qu’il œuvre au sein de votre structure. Au fil du temps, il a amplement progressé et augmenté son périmètre d’action et d’influence. Voici venu le temps de la reconnaissance et de la promotion. Et pour votre ingénieur, peut-être, de manager sa première équipe.
Idéalement, deux options se dessinent devant le futur promu : poursuivre le développement de son expertise au sein d’une filière dédiée ou aborder une carrière managériale. « Idéalement », car toutes les entreprises ne proposent pas encore de filière d’experts à leurs collaborateurs. Si tel n’est pas encore votre cas, je vous propose la lecture de cet article.
Les obstacles
En espérant donc que cela soit pour de bonnes raisons et non pas dépit, votre ingénieur expert technique s’apprête à aborder une carrière de manager. Même si sa motivation est réelle, il risque de rencontrer plusieurs obstacles dans ce nouvel épisode de son parcours professionnel. Nulle caricature ici, je parle par expérience : en tant qu’ancien ingénieur, j’ai dû moi-même les affronter pour manager ma première équipe. Listons-en quelques uns parmi les principaux.
Sa formation initiale, par exemple. Malgré les efforts déployés ces dernières années par les écoles d’ingénieurs, la relation humaine et les sciences qui s’y réfèrent y tiennent peu de place. Mobiliser des personnes ? Les développer ? Cela devrait se faire tout seul, non ?
Son « formatage » initial ensuite. La différence avec sa formation ? Le formatage est plus profondément ancré. Il s’agit véritablement de la façon dont il a appris à construire ses raisonnements. Les ingénieurs français développent très vite une manière relativement binaire de raisonner. Particulièrement redoutable sur le terrain technique, cela peut poser problèmes quand on s’aventure dans le management.
La culture française, enfin. Attention, précisons tout de suite : il ne s’agit en rien de dénigrer la culture en question, mais simplement d’être lucide à son égard, à l’égard de ce qu’elle nous apporte et de ce qu’elle complique. Une de ses caractéristiques, développée plus largement dans cet article, est d’être fortement sous l’influence de ces sciences que l’on qualifie parfois de « dures » (même si je préfère parler de « sciences déterministes », pour ma part). Ceci n’est pas sans effet sur notre culture managériale dans son ensemble et ne contribuera pas à rééquilibrer le potentiel penchant naturel de notre expert technique pour les visions « tranchées ».
Pourquoi et pour quoi est-ce si important d’accompagner cette promotion d’ingénieur à manager ?
Parce que comme nous venons de le voir, bien peu de choses dans le parcours initial d’un ingénieur le préparent à aborder une carrière de manager. En dehors de ses éventuelles aptitudes et prédispositions propres, bien entendu.
Parce que, pour citer le hiérarchique qui m’a accompagné dans la prise de mon premier poste de management d’équipe, « ce ne sont plus les sources des succès passés qui seront les sources des succès à venir ». Il s’agit dans le cadre d’une telle évolution professionnelle de changer de posture, d’attitude, de points d’appuis. La mutation que cela suppose est d’importance.
Parce qu’un ingénieur, de par ses capacités intellectuelles, sa curiosité et son envie de croître saura très bien tirer profit de l’initiation d’une telle démarche et devenir rapidement autonome dans sa progression. En clair, il n’est nul besoin de les accompagner pendant des années, ils apprennent vite et bien. Vous gagnerez grandement à le faire le temps de la transition, du changement de points d’appui. Ensuite, ils seront lancés sur les rails et prendront par eux-mêmes de la vitesse.
« Oui, mais il a déjà fait du management de projet«
Très bonne chose, cela lui donnera de grandes facilités pour intégrer les nouveaux concepts opérationnels qui l’attendent. Mais si vous me permettez ce parallèle audacieux, le babysitting ne suffit pas à préparer à la parentalité. Une chose est de savoir interagir avec des interlocuteurs contributeurs le plus souvent autonomes, une autre est de savoir poser un cadre et d’en être le seul garant.
Alors comment faire ?
En ayant conscience des difficultés évoquées ci-dessus et en sachant y répondre.
En comprenant d’où parle le nouveau promu, en entendant et étant capable de partager les difficultés qu’il va rencontrer.
En allant le chercher là où il est, en intégrant et acceptant sa position initiale pour pouvoir l’amener vers une posture plus compatible avec le management (voir cet article sur les spécificités d’un coaching pour ingénieur).
En le rassurant pour cela, car le management de personnes est parfois un domaine complètement nouveau pour lui.
En s’appuyant sur ses qualités intellectuelles, sa curiosité, son appétit pour l’exploration de ce qu’il ne connait pas encore. Sans toutefois tomber dans le travers de l’intellectualisation à outrance, en restant soigneusement dans le champ de l’opérationnel.
En lui proposant un accompagnement qui inclue tous ces éléments.
Quels sujets sont abordés lors de ces accompagnements ?
Je dispose d’une grande expérience de l’accompagnement d’ingénieur (ou autre expert technique) à un premier poste de manager. Il peut être curieux de voir à quel point les sujets qui peuvent y être abordés sont souvent les mêmes. La plupart du temps, il s’agira de :
- La gestion de la bande passante. Le temps de trouver ses nouvelles marques, il est fréquent que le nouveau manager exprime une difficulté par rapport à sa nouvelle charge de travail. Au moins le temps que les changements de posture et de paradigme se mettent en place.
- La perception d’irrationalité des collaborateurs et des autres interlocuteurs. Et c’est bien normal. Un ingénieur se focalise de manière naturelle plutôt sur les données, sur les faits. Le manager doit étendre son champ d’intervention au domaine humain. Les ingénieurs gagneraient amplement à faire de même, cela dit, mais pallient souvent cela par des stratégies de compensation.
- La perception de légitimité du nouveau manager. Elle s’exprimera généralement à travers le regard des autres, que ce soit sa propre hiérarchie ou les membres de son équipe. Il cherchera à être légitime à leurs yeux, mais la véritable question tournera généralement autour de son propre sentiment de légitimité.
Entre nous, qu’est-ce qu’il s’y passe pour de vrai ?
Ces nouveaux managers sont souvent volontaires voire demandeurs d’un accompagnement qualifié. La pratique du coaching se démocratisant et se banalisant, ils ont de plus en plus de facilités à surmonter l’impression initiale de « demander de l’aide parce qu’ils n’y arrivent pas tout seul » pour tout simplement accepter l’idée d’avoir recours à un expert extérieur pour des raisons d’efficacité. Le coaching se met donc généralement rapidement en place.
Dans un premier temps, la problématique du temps va passer le plus souvent par une phase de détresse où le nouveau manager se sentira au bord de la noyade. Il pourra attribuer cette situation à la nouveauté de sa promotion, mais force lui sera de constater au bout d’un moment que sa charge de travail, telle qu’il la définit, restera à un niveau particulièrement élevé. Une première tentative de résolution pourra être de se tourner vers son propre manager pour obtenir plus de moyens. Ce n’est qu’ensuite généralement qu’il acceptera une autre évidence : il définit mal les contours de son nouveau poste. La seule issue est de se détacher de l’opérationnel et des sentiments de sécurité et de confort qu’il procure.
La perception des émotions passe du plan intellectuel à un plan plus humain. Dans un premier temps, assez souvent, la tentation est forte d’intellectualiser les émotions des autres, tout en niant les siennes. Et puis au fil du temps, la limitation évidente de cette approche se fait jour et la posture évolue.
La question de la légitimité se résout le plus souvent d’elle-même. Ce n’est, en réalité, pas un résultat à atteindre à proprement parler. Il s’agit plutôt pour moi d’un indicateur de la réussite de la prise de poste. Cette question se résoudra d’autant plus vite que l’esprit de compétition du nouveau manager s’érodera au profit d’un état d’esprit plus coopératif.
En conclusion : pour apprendre à nager …
En synthèse, vous gagnerez amplement et rapidement à faire accompagner ingénieur ou expert lors de son accession à un premier poste de manager. Même s’il a accumulé au préalable une solide expérience de management de projet. Et cet accompagnement, pour être optimum, gagnera à être dédié et spécialisé. Car c’est véritablement à un nouvel élément que votre nouveau manager va devoir accéder. Plus fluide, moins prévisible.
Et pour apprendre à nager, il peut être important d’être un tant soit peu accompagné, les premiers temps.